Le constat que la plupart des pays d’Afrique n’ont pas atteint un niveau de développement qui puisse satisfaire leurs citoyens et positionner ces pays sur la scène internationale peut être partagé sans réserve. Ce constat est encore assombri par la régression rapide de plusieurs champions africains, comme par exemple le Zimbabwe et la Côte d’Ivoire, en particulier lorsqu’on met dans la balance l’émergence rapide des nouveaux champions, surtout asiatiques.
Peut-on imputer cette déception au défaut d’efficacité de l’aide au développement ? Certainement pas et il serait bien prétentieux d’envisager qu’un pays se développerait parce que l’aide qu’il reçoit est efficace ou qu’il ne se développerait pas pour la raison inverse. Et pourtant, les acteurs de l’aide publique au développement ne sont pas satisfaits des impacts obtenus par leurs interventions depuis les indépendances.
Depuis 50 ans, à chaque changement de paradigme on fait le constat de l’échec de l’étape précédente :
- L’aide budgétaire post-coloniale n’a pas été efficace
- Les interférences politiques liées à la guerre froide ont été néfastes
- Les projets d’aide liée n’ont pas été efficaces
- Les projets d’aide non liée n’ont pas non plus donné de résultats durables
Est-on déjà en train d’anticiper l’échec des paradigmes en cours en considérant dès à présent que :
- Les programmes sectoriels et l’aide budgétaire ciblée ne sont pas des garanties de succès ?
- L’aide budgétaire générale ne fait pas ses preuves ?
La fuite en avant doit-elle continuer vers un xième nouveau paradigme? Ou au contraire ne doit-on pas tout d’abord respecter nos engagements passés et présents en terme quantitatifs aussi bien qu’en terme d’efficacité et approfondir les possibilités que nous offrent ces différentes approches et modalités quand elle sont appliquées avec discernement, flexibilité, engagement et constance.
Notre opinion est que nous disposons actuellement des engagements internationaux, des principes, des approches et des modalités nécessaires à notre efficacité, mais que le diable se trouve dans le (non)respect de ces engagements de même que dans les détails de leur mise en œuvre.
Il est souvent aisé de créer des nouveaux dogmes, des nouvelles modes et des nouvelles recettes, mais il est plus compliqué de s’engager à long terme aux côtés de nos partenaires afin de mettre en œuvre nos engagements respectifs.
Face à une perception d’échec relatif, cherche t’on à se débarrasser de notre part de responsabilité et à renier nos engagements ? Par un xième effet d’annonce, cherche t’on à occulter nos renoncements ?
Pire, en exacerbant notre scepticisme, ne sommes-nous pas en train de préparer le terrain pour les oiseaux de mauvaise augure qui pourront bientôt utiliser conjointement les arguments de l’inefficacité de l’aide et de notre propre déficit budgétaire pour préparer un désengagement progressif et un repli sur les questions de sécurité et de lutte contre l’immigration?
Si effectivement le grand public en général de même que nos décideurs sont de plus en plus convaincus que l’APD n’a pas eu d’impact significatif sur le niveau de développement des pays africains ou pire qu’elle a un effet négatif en favorisant la mauvaise gouvernance, alors oui l’APD est en danger.
Le développement au centre de notre action
La référence exclusive aux MDGs a eu l’avantage de focaliser notre action, mais l’inconvénient de simplifier à outrance le débat. L’éradication de la pauvreté ne suffit pas comme cadre de référence.
Il faut évidemment se positionner dans une vision de développement à long terme -disons 30 ans pour fixer le cadre- qui va au-delà de la mise à disposition des services de base.
Les questions cruciales de la production de richesses, de l’emploi, de la sécurité alimentaire, notamment à travers la production agricole, doivent être prises en compte.
La question de l’accès à une énergie efficiente doit recevoir une attention particulière. A l’échéance indiquée ci-dessus, on sera bien au-delà du pic pétrolier et de la plupart des autres ressources fossiles. En Occident, nous aurons dû affronter le challenge de diminuer notre niveau de consommation et notre niveau de pollution tout en conservant notre niveau de vie et notre niveau de couverture sociale. En effet, les ménages continueront à souhaiter des revenus corrects et un accès correct aux services de base.
Pourquoi en serait-il différemment dans les Etats actuellement pauvres ? Comme les nôtres, ces Etats devront faire face à une situation de ressources fossiles rares et chères et à une demande de leur population pour une sécurité alimentaire et sociale ainsi que pour des revenus décents.Autrement dit, ces Etats devront avoir trouvé leur modèle de développement durable qui corresponde à leurs besoins et qui leur permettra de faire face aux problèmes qui se poseront, notamment en termes de ressources naturelles et d’énergie.
Ce modèle ne peut être calqué sur le nôtre qui doit lui-même être fondamentalement repensé.
Une stratégie spécifique par pays
Pour nous le renforcement des capacités, dans ses dimensions institutionnelles, organisationnelles et individuelles, reste un paradigme valable pour construire la coopération au développement.
Augmenter ses ambitions pour réussir cette mission systémique demande effectivement une connaissance approfondie du contexte spécifique du pays, de ses capacités et de ses acteurs sectoriels. Mais cette ambition demande surtout un engagement à long terme.
Cette connaissance ne peut se construire que dans la stabilité des ressources humaines et la focalisation sur un nombre relativement limité de pays, c’est une évidence.
Mais de notre point de vue, la limitation du nombre de pays partenaires est la bouteille à encre. Vaut-elle vraiment qu’on y focalise une partie du débat ? Une concentration plus poussée de chaque pays vers un nombre très limité de pays et de secteurs peut faire du sens si elle se dérouler dans le cadre d’une négociation sérieuse sur la division du travail entre les bailleurs et sur la coopération déléguée. On ne peut en effet occulter la problématique des pays orphelins.
Une agence spécialisée
L’articulation du dispositif de coopération bilatérale autour de deux piliers, l’un « politique » et l’autre « opérationnel », est évidemment tentant. On détecte immédiatement les avantages que l’on peut tirer de l’existence d’une Agence de Développement spécialisée et indépendante en termes de flexibilité de gestion, de continuité, de professionnalisation,…
Mais les pays qui ont mis en place ou hérité d’un tel dispositif bicéphale en connaissent également les écueils. Ils savent en particulier que dans le cadre des approches systémiques (SWAP, PBA), la division des sphères politiques et opérationnelles devient de plus en plus difficile et que le flou qui enrobe cette frontière est propice à générer les conflits internes du système.
Le gain d’efficacité peut alors aisément annulé par les lourdeurs dans la prise de décision et dans l’articulation entre les phases d’une intervention.Ces risques sont certainement documentés au Danemark ou en Norvège, deux pays qui ont préféré réintégrer leurs programmes de développement au sein de leur administration.
Quitter la coopération au développement pour une vision plus politique ?
Face aux difficultés de la mise en œuvre des approches et des modalités qui sont à notre disposition à l’heure actuelle, la fuite en avant vers le haut peut être tentante. Aller toujours un étage plus haut remplacerait une fuite en avant par une fuite vers les sommets.
Mais les acteurs de terrain savent que le développement des capacités se gagne dans l’action et que la mise en œuvre des réformes est difficileLes acteurs de terrain savent aussi que la vision des décideurs, tant les bailleurs que les élites des pays partenaires, est tronquée, car elle occulte le déficit de capacités des institutions à mettre en œuvre les réformes. En effet, il y a souvent un gouffre entre les compétences individuelles de quelques décideurs politiques et de cadres (très) supérieurs et les capacités des institutions et organisations de même que les compétences des cadres inférieurs.
La recherche vers l’efficacité du développement doit donc nous pousser à opter pour combiner des approches plurielles (politique, stratégiques, opérationnelles) et des modalités adaptées aux besoins.
Plus que jamais le slogan « Think globally, Act locally » prend tout son sens.
S’occuper d’une meilleure gestion des biens publics globaux ne peut occulter le fait que dans le même temps nous devrons bien aller vers une relocalisation de la production et de la consommation. Autrement dit, il est vrai que la coopération doit se focaliser sur le cadre globalisé, mais en même temps sur la consolidation de systèmes locaux.
Flexibilité dans la gestion des fonds
Le développement est un enjeu de long terme et, idéalement, on devrait pouvoir passer à une gestion pluriannuelle des enveloppes réservées à l‘APD. Cependant, dans les faits, cette flexibilité semble difficile à réaliser.
Comment en effet justifier vis-à-vis de l’opinion publique que les budgets réservés à toutes les matières soient soumis à la règle de l’annuité, sauf celui réservé à l’APD ?
Comment les hommes politiques prendront le risque d’essayer de convaincre les électeurs non seulement de consacrer 1% du RNB à la coopération au développement, qui en a grandement besoin, mais qu’au même moment des sommes importantes puissent être en stand by dans un fonds tampon.
Cette contradiction sera d’autant plus difficile à gérer alors qu’on aura du mal à équilibrer les fonds de pension publics ou les caisses de la sécurité sociale.
On peut d’ailleurs observer que les pays qui disposent d’un tel fonds n’en utilisent pas les possibilités en terme de gestion pluriannuelle.